Pour tout amateur de musique classique, pouvoir se rendre en été dans les festivals de musique classique en Suisse, c’est comme aller en pèlerinage en terre sainte. Avec Lucerne, Gstaad, Lugano, pour les plus connus, Verbier Festival fait partie des étapes incontournables de ce pèlerinage au pays de Guillaume Tell. Cette année, le mien s’est déroulé en trois soirées, comme autant de sommets au firmament des Alpes valaisannes, dont un au plus près des étoiles.
Quoi de plus exaltant pour commencer ce pèlerinage qu’une soirée intégralement consacrée à Wagner par le Verbier Festival Orchestra, dirigé par Ivan Fischer et la soprano Nina Stemme avec au programme l’ouverture des Maîtres Chanteurs, et des extraits emblématiques de Parsifal, Tristan et Isolde et Le Crépuscule des Dieux. Sous la direction du chef hongrois, l’Orchestre, composé des meilleurs jeunes musiciens, se révèle d’une grande agilité. Tel le métal travaillé par le forgeron, il fait preuve de la ductilité nécessaire à ce répertoire, mélange de force et de souplesse. Nina Stemme qui remplace Anja Kampe n’a plus rien à prouver dans Wagner et excelle dans la mort des deux héroïnes, Isolde et Brünnhilde, coup sur coup les deux temps forts de ce concert incandescent.
Dans une ascension, on espère atteindre le sommet. Je l’ai atteint avec le concert de musique française consacré à Saint-Saëns et Bizet. Cette fois, c’est le Verbier Chamber Orchestra qui officie, sous la baguette heureuse du jeune chef Joshua Weilerstein, en remplacement d’Emmanuel Krivine. Son interprétation de la Symphonie N°1 en Ut majeur de Bizet est un pur délice. Tel un jeune cabris, il insuffle à l’orchestre avec ses sautillements et ses yeux malicieux la joie et la légèreté que cette œuvre, fruit d’un tout jeune artiste, transmet. La jeunesse est celle aussi de George Li, couronné par un 2e prix au Concours Tchaïkovski de Moscou tout juste un an auparavant, et qui, à 20 ans, exprime dans le 2e Concerto pour piano de Saint-Saëns une sensibilité à fleur de peau qui procure un plaisir à la fois physique et émotionnelle intense. La seule vision de ses petites mains presque tremblantes sur le clavier alors qu’il joue avec une grande sûreté en est que plus touchante. Le public lui réserve une ovation plus que méritée. Climax de cette soirée, la présence de Joshua Bell dans le 3e Concerto pour violon du même Saint-Saëns. Le violoniste américain y est magistral. C’est d’ailleurs lui qui semble mener l’ensemble des forces musicales en présence, tant sa maîtrise atteint des sommets. Conviction et puissance font de lui l’un des grands interprètes de notre temps au violon et font de cette soirée le sommet de mon expérience à Verbier cette année.
Dernier volet de mon voyage et également dernier concert du festival 2016, la monumentale 3e Symphonie de Mahler, dirigé par un maître, l’américain Michael Tilson Thomas, à la tête du Verbier Festival Orchestra au complet, de forces chorales locales, et la présence de la contralto française Nathalie Stutzmann. Paradoxalement, cette soirée de clôture me laisse un souvenir moins inaltérable. Cette œuvre est si complexe et polymorphe que tout aussi brillants soient les jeunes musiciens, elle nécessite sans doute le métier et l’expérience de toute une vie de musicien, celle que Michael Tilson Thomas a partagé avec eux en quelques jours n’y suffisant pas tout à fait encore. Nathalie Stutzmann, bien que faisant preuve d’une présence, d’un engagement et d’un sens dramatique certains, se révèle vocalement en demi-teinte, manquant d’une puissance qui aurait sublimé son interprétation.
Finalement, ce dernier concert reste spectaculaire, ne serait-ce que par la démesure de l’œuvre. Et du haut de ses montagnes, le Verbier Festival qui remplit une mission pédagogique incomparable auprès des jeunes musiciens, clôt cette édition par un clin d’œil aux Alpes bavaroises, où Gustav Mahler trouva l’inspiration pour toute son œuvre.